Chapitre 8 - Yang
Sixième. Sur près de 3600 étudiants. Adam n’en croit pas ses yeux.
Et pourtant, c’est bien son nom qui est affiché parmi la liste des valeureux étudiants en première année d’études médicales - et qui décrochent, de fait, le précieux sésame nécessaire à l’entrée en deuxième année.
Une part d’Adam ne parvient pas à conscientiser cette réussite ; à vrai dire, le jeune homme pensait que la colonne “classement” était erronée, et correspondait en réalité au coefficient attribué par épreuve. Il n’en est évidemment rien.
Une autre part est assoiffée de réussite et regrette cette sixième place, loin du podium. “Franchement, j’aurais pu être premier, avec un peu plus de travail” pense le jeune prodige en devenir, avant de se ressaisir et de faire preuve de gratitude envers la vie, la création, et le Créateur.
Adam n’appartient à aucune religion en particulier, mais cela ne l’empêche pas de se parer d’une foi inébranlable en une entité innommée qui le protège, le guide et le maintient en vie chaque jour depuis plus de dix-huit ans. Il est intimement convaincu qu’un Créateur unique nous a tous façonnés, et que Lui Seul est au contrôle - il reçoit les bénédictions qu’il mérite.
Ismaël l’extirpe de ses pensées.
Incroyable, c’est incroyable, Adam ! s’écrie le jeune homme.
Al…Alors ? Tu passes aussi ?
YES ! Top 15 !
Les deux amis poussent un cri de joie conjoint avant de s’étreindre, heureux et soulagés qu’une si longue année de travail acharné se soit enfin écoulée. Les heures passées à la bibliothèque universitaire - gratuite et accessible - ont finalement payé pour ces deux brillants Navigants, qui partent tout de même avec un malus de -0.5 point - ce qui peut être décisif au vu du classement extrêmement serré cette année.
Erica et Eden affichent une mine moins joviale. L’une bénéficiait d’un bonus Natif d’un point supplémentaire et l’autre, Navigant, a excellé toute l’année - sauf le jour le plus fatidique de sa vie.
Bye la médecine, soupire Erica.
Arrête, tu peux faire une réclamation, ton père peut t’aider, la rassure Adam.
Super, siffle-t-elle ironiquement.
La jeune blonde souffle et se met immédiatement à composer le numéro de son père - la solution de facilité à toutes les difficultés, si rares soient-elles, qui peuvent croiser son chemin. Une solution qu’Eden ne peut pas envisager au vu de son statut de Navigant. Ses amis et camarades se contentent ainsi, en silence, de lui asséner un sourire de compassion.
Ça y est, c’est pas grave, gromelle le jeune homme, c’est déjà bien d’avoir tenté ma chance.
Tu sais, Freya est très bien à l’Echat…
Adam, franchement, j’ai pas envie d’en parler maintenant, le coupe sèchement Eden. Je ne suis pas sûr de vouloir poursuivre mes études.
Adam le regarde, les yeux écarquillés remplis d’incompréhension. “Comment, en tant que Navigant, peux-tu croire qu’il existe une autre issue que celle des études supérieures ?
Je verrai ce que la vie me réserve, continue Eden.
Ensemble, les trois amis forment un cercle autour de leur cher camarade, au visage terni de déception. Malheureusement, personne ne peut rien pour lui. Il est né de la mauvaise face de la pièce.
Il n’y a pas de deuxième chance pour les Navigants.
***
Adam ne parvient pas à contenir son stress. Après des mois de dur labeur et d’anxiété généralisée, le voilà prêt à enfiler sa blouse de stagiaire au sein d’un des meilleurs laboratoires spécialisés dans la recherche de lutte anti-âge.
Le jeune homme n’a aucun appétit, lui qui était jadis capable d’engloutir l’équivalent de deux repas en un. Sportif de nature, il a toujours eu des besoins caloriques supérieurs à la moyenne.
Sauf ce matin. Nausées et maux de tête valsent dans son organisme, perturbant son fonctionnement habituel.
Mange, Adam. Tu dois tenir la journée, l’implore Victoria.
La mère du jeune prodige est aussi inquiète que lui mais tente - lamentablement - de l’occulter.
Je n’ai pas faim. J’ai envie de vomir.
Le visage - déjà très pâle - d’Adam a perdu un ton supplémentaire, jusqu’à le rendre complètement blafard. En l’espace de trente secondes, le jeune homme accourt vers les toilettes où il tente à multiples reprises de se libérer des nausées qui le parasitent, sans succès. A la place, des litres d’air s’échappent de son oesophage.
Victoria déambule dans le minuscule WC familial d’à peine un mètre carré, aux murs aussi froids que la peau du jeune étudiant. Elle donne à son unique fils un sachet en kraft dans lequel elle lui ordonne de souffler afin de dégager tout le gaz carbonique contenu dans ses poumons. En une minute, Adam reprend ses esprits.
Merci, maman, ça…ça va mieux, soupire Adam, épuisé.
Il faut te calmer, hein, qu’est-ce qui te prend ? Tu ne vas pas te rendre malade pour un stage, quand même ?
Adam déglutit en baissant les yeux. “C’est exactement ce qu’il m’arrive. Je ne contrôle rien, je n’y peux rien. J’ai peur…”
Non, bien-sûr que non, se reprend Adam.
Ben alors ! On se ressaisit, et on avance ! Fissa !
Oui, merci maman. Pour le sac.
Victoria sourit avant de quitter la pièce. L’heure tourne, et il ne faudrait pas que le jeune homme arrive en retard lors de son premier jour de stage. On n’a qu’une seule chance de faire une bonne première impression. Sans tarder, il se dirige vers la salle de bain - à peine éclairée - afin de se rincer rapidement le visage, de former une coiffure présentable et d’enfiler sa première tenue de stagiaire : une chemise bleu clair, qui appartient à son père - elle a d’ailleurs été cousue par Zinelli, qui était férue de couture - ainsi qu’un pantalon à pinces gris foncé. Pour les chaussures, il se contente d’une paire de baskets blanches. De toute manière, il n’en a pas d’autres. Ainsi vêtu, il se dirige rapidement vers son arrêt de bus qui le dépose en quarante cinq minutes au bâtiment principal de l’IRAT.
“Waouh…” pense Adam. Le siège du laboratoire est situé rue Soufflot, laissant une vue imprenable sur le majestueux Panthéon, qui parvient à stupéfaire quiconque croise son regard. Ébahi par la beauté des lieux, Adam ne se laisse pourtant pas distraire et rejoint directement l’accueil de l’immeuble d’un blanc immaculé aux moulures impeccables.
A l’intérieur, une trentaine d’autres stagiaires attendent avachis sur les innombrables canapés de velours qui habillent le hall d’entrée. Adam croit halluciner ; hommes comme femmes, ils sont tous vêtus de la même manière : une chemise blanche, un pantalon noir, et des mocassins en cuir brillant. Les femmes portent un béret rouge, les hommes un gris. C’est à se demander si le port d’un uniforme n’était pas un prérequis.
Bonjour, madame, je m’appelle Adam Celsina, je suis stagiaire, lance timidement le prodige à l’hôtesse d’accueil.
Bonjour jeune homme, votre carte NP s’il vous plaît.
NP ?
Navigant Professionnel, souffle la quinquagénaire.
Je.. je ne l’ai pas reçue.
“Comment sait-elle ?” se questionne Adam avant de ricaner face à la candeur de son interrogation - il est le seul à ne pas être habillé comme les autres.
Vous ne pouvez pas accéder au bâtiment sans cette carte, monsieur Celsina.
Je… comment je fais…
Des gouttes de sueur perlent sur son front.
Vous devez attendre de la recevoir. Normalement, ç’aurait dû être le cas. Êtes-vous certain d’être inscrit ici ?
Le cœur d’Adam bat la chamade. “Evidemment, c’était trop beau pour être vrai. Comment le prestigieux IRAT aurait pu s’intéresser à un misérable Navigant de banlieue parisienne ?”
Oui. Adam Celsina. C-E-L-S-I-N-A. Je suis à Paris Cité.
Je ne vous trouve pas, c’est bizarre.
L’hôtesse blonde se saisit de son téléphone tout en mâchant de manière ostentatoire son chewing-gum à la fraise. Adam, quant à lui, est au bord du malaise.
Madame Pechevert, bonjour, vous allez bien ?
Un homme à peine plus âgé qu’Adam déboule en apostrophant l’hôtesse sans introduction. Cette dernière ne semble pas étonnée - au contraire, un immense sourire se dessine sur son visage.
Oh, bonjour Baptiste, comment allez-vous ? Et votre père ?
Très bien, je vous remercie. Y a-t-il un problème avec cet élève ? Nous devons lancer la visite des lieux.
Adam ne saisit rien de la situation. A vrai dire, il n’a pas l’énergie pour.
C’est visiblement un Navigant qui tente de se faire passer pour un stagiaire ici, grogne-t-elle.
Vous vous appelez comment ? s’adresse le grand brun à Adam.
Adam Celsina.
Celsina ? Ça ne me dit rien. Vous êtes à Paris Cité ?
Oui.
L’inconnu fronce les sourcils avant d’avoir un éclair de génie.
Madame Pechevert, essayez “Adam De Cecilia”
L’hôtesse s’exécute sans attendre.
Jeune homme, vous êtes bien né le 3 décembre 2012, et vous résidez à Aguenon ?
Adam pousse un soupir de soulagement avant de hocher la tête.
Ah ah ! Je me disais que “De Cecilia” n’était pas un nom de Navigant. Vu que vous êtes le seul de cette promotion, je me suis rappelé de ce nom - qui n’est finalement pas le vôtre. Bienvenue, Adam Celsina !
M…Merci, monsieur, je crois savoir qui a modifié mon nom de famille…
“Satané chargé de scolarité. Il a vraiment francisé mon nom. J’y crois pas.”
Excusez-moi, monsieur, vous êtes ?
L’homme sourit.
Je suis Baptiste Ostorm, ton parrain de stage. Ravi de faire ta connaissance !
Adam vient de voir son stage sauvé par le fils du directeur d’un des laboratoires les plus prestigieux du monde.