Hania Ouachek Hania Ouachek

Chapitre 9 - Ambitions

Baptiste Ostorm est d’un charisme indéniable. Le jeune homme de vingt-six ans parvient à captiver naturellement n’importe quel auditoire ; dans une pièce bondée, il parvient à imposer le silence. 

Ce n’est pas pour rien qu’il est le parrain de la promotion 2029 des stagiaires de l’institut de son père. La rumeur laisse dire que, bien que le népotisme ait de longs jours devant lui, c’est bel et bien pour ses qualités et son brillant esprit que Baptiste a été désigné comme tuteur de cette moisson de stagiaires d’été. Comme son père, le Natif excelle en sciences médicales - il rédige en ce moment-même sa thèse de recherche portant sur la multiplication autonome des cellules souches dans le cadre du traitement de maladies jusque-là incurables. Une véritable révolution, à l’entendre. Les financements provenant exclusivement de l’IRAT, on peut venir à se demander quelle est la véritable raison d’être de cet institut. 

Adam est, comme tous les autres stagiaires, extrêmement admiratif du parcours de Baptiste. En plus de démontrer d’immenses qualités intellectuelles, le jeune Ostorm maîtrise avec brio l’art primaire de l’Homme : l’art oratoire. 

Un avis que Freya ne partage absolument pas.

  • S’il n’était pas né Natif, il n’aurait rien eu de tout ça, grommelle Freya en avalant sauvagement son plat de pâtes. Le mec part avec un bonus dans sa vie, encore heureux qu’il réussisse. 

  • Certes, mais l’intelligence, il ne la sort pas de son père, ni de sa lignée, rétorque Adam. Il reste brillant. 

  • Pfff, mouais. Si on avait eu les mêmes moyens on serait sur le sommet du monde, aussi. 

  • On le sera bientôt, ricane le jumeau. 

  • Jamais autant, Adam, jamais. 

Victoria interrompt la conversation.

  • Freya, cesse d’être négative, s’il te plait. Ton frère a besoin d’encouragements…

Freya lance à sa mère un regard fixe rempli de colère avant de choisir le silence pour quitter la table. 

  • Tu vas où, comme ça ? l’interpelle son père.

  • Je vais dormir, j’ai plus faim. Et puis, je me lève tôt demain.

  • Ah bon ? Pourquoi faire ? l’interroge Victoria. 

  • J’ai un entretien, pour un stage. 

  • Mais c’est super ! s’exclame la mère de famille, pourquoi ne nous l’as pas dit plus tôt ? 

Freya marque une pause.

  • Je viens de l’apprendre.

Adam lance un drôle de regard à sa sœur. Il sait quand elle ment, ou du moins, quand elle modifie la vérité à sa guise. N’ayant pas la force de la confronter, il se contente de lui asséner un sourire poli d’encouragements avant d’aller, à son tour, se coucher. 

***

Le temps est de moins en moins respirable - dès neuf heures du matin, le thermomètre affiche près de trente degrés. Il est difficile de s’habiller convenablement - aux yeux de l’IRAT - sans risquer l’insolation ou le coup de chaleur. 

Aujourd’hui, Adam n’en a que faire : une chemise en lin, légère, fera largement l’affaire. Au diable les “qu’en dira-t-on”, il sait qu’il n’a déjà plus rien à prouver - en à peine deux semaines, son tuteur, ainsi que les différents responsables d'unités opérationnelles, ne tarissent d’éloges à son égard. “Plutôt rare, pour un Navigant”, est la phrase préférée de ces derniers. Pour Adam, c’est un compliment à double face. 

Comme à son accoutumée, le jeune Celsina passe son badge afin d’ouvrir les immenses portes de verres qui habillent le hall d’entrée. 

Aujourd’hui, il fait face à son double.

  • Mais qu’est-ce que tu fous là ? s’étrangle Adam.

Freya se tient là, debout, une pochette à rabats dans les bras, au beau milieu du couloir de l’IRAT - pourtant accessible que par badge. Deux mondes se bousculent dans l’esprit d’Adam : “pourquoi, ma sœur jumelle, est-elle sur MON lieu de travail ?”.

  • J’ai rendez-vous avec monsieur Ostorm. 

  • Tu te fous de moi ? s’écrie Adam. C’est ça, ton entretien ? Et puis, tu le détestais pas, hier ? 

Freya déglutit. 

  • Je parle de son père. 

Adam manque de s’étrangler une seconde fois avant de reprendre ses esprits. 

  • Comment c’est possible ? Qu’est-ce que tu racontes ? Qui t’a fait entrer ? 

  • Adam, je ne comprends pas ta réaction, soupire Freya. J’ai réussi à avoir un entretien après avoir littéralement harcelé le laboratoire. 

  • P…Pourquoi tu ne m’as rien dit ? 

  • Parce que je savais que tu réagirais comme ça. 

Le jumeau baisse la tête, l’air honteux. “Bravo, tu lui as donné raison.” se répète-t-il en boucle.

  • Comment ça, tu les a harcelés ? 

  • J’ai appelé le standard tous les matins et tous les soirs, j’ai envoyé des courriers avec accusé de réception absolument tous les jours, sourit Freya. Tout mon salaire est parti dans ces fichues enveloppes. Tu sais combien c’est cher ou pas ? Je suis ruinée, c’est…

  • Et comme ça, ils t’ont rappelé ? le coupe Adam.

  • Pas totalement. J’ai aussi envoyé des mails à Baptiste, en me présentant…

Adam voit rouge.

  • Comment t’as eu son mail ? 

  • Adam…

  • Comment ? 

  • J’aurais pu le deviner toute seule, hein. 

Freya admet à demi-mot avoir fouillé l’ordinateur de son frère jumeau, à la recherche de l’adresse mail du tuteur de ce dernier. 

  • J’ai dit que j’étais ta sœur. 

Les yeux d’Adam sortent presque de ses orbites.

  • On a le même nom de famille, n’abuse pas, souffle Freya. Je voulais leur montrer que t’étais pas le seul Navigant fréquentable qui existe. Visiblement, ça a marché. 

  • Pourquoi mon stage, Freya ? Pourquoi pas celui d’Erica, ou d’Ismaël ? C’est parce qu’ils t’ont jetée de Paris Cité que tu cherches à tout faire comme moi ? 

La bouche de la jeune femme s’entrouve de stupéfaction, et ses yeux se parent de discrètes larmes. Avant qu’elle ne puisse rétorquer, Baptiste l’interpelle. 

  • Mademoiselle Celsina… B…Bonjour…

Adam fronce les sourcils. Depuis quand Baptiste bégaye face à une inconnue ? 

  • Bonjour Baptiste, le coupe Adam. Je suis content de voir que ma soeur a un entretien ici aujourd’hui. 

  • Ah, salut Adam, soupire le jeune Natif, je t’avais pas vu. Oui, c’est super, pour l’inclusion des Navigants… 

Baptiste se tourne de nouveau vers Freya. 

  • Bienvenue, mademoiselle… Je suis monsieur Ostorm, le… le fils… euh… le bras droit de Nicolas. 

  • Bonjour monsieur, echantée, répond-elle sèchement. Je vous suis. 

Adam ne comprend rien à la scène qui se déroule sous ses yeux. Il n’avait jamais vu Baptiste si déstabilisé, encore moins devant une Navigante - si tant est qu’il en a côtoyé dans sa vie. 

Baptiste est encore plus décontenancé - à vrai dire, il ne s’attendait pas à voir une Navigante aussi bien apprêtée. Freya est impeccablement habillée. Un ensemble blanc immaculé l’habille de ses épaules à ses chevilles, ne laissant apparaître que quelques centimètres de sa peau légèrement hâlée. Cette dernière est d’ailleurs teintée d’ornements d’apparence dorée - alors qu’il s’agit d’acier inoxydable - qui l’habillent de lumière à chacun de ses pas. Les ondulations de sa chevelure retombent délicatement entre ses deux omoplates à l’aide d’une queue de cheval parfaitement ficelée. En plus de cela, la jeune femme est dotée d’une beauté florissante qui ne laisse que très peu de personnes indifférentes. Seulement voilà, jusqu’à présent, aucune âme n’avait osé poser son regard sur la Navigante qu’elle est - mais vêtue ainsi, à la manière d’une Native, Freya fait tourner des têtes - et pas n’importe laquelle.

C’est bien pour cela que Baptiste préfère garder le silence le temps du trajet jusqu’au bureau de son père. Une fois arrivés à destination, le jeune Ostorm s’efface en toute discrétion, comme intimidé d’avoir croisé le céleste chemin de la jeune Navigante. 

  • Mademoiselle Celsina, je vous, prie, entrez, s’exclame Nicolas.

Freya s’exécute. A la vue de son interlocuteur, une moue d’étonnement se dessine sur son visage. 

Nicolas Ostorm est un homme extrêmement discret. On ne voit que très rarement son faciès, même dans les journaux. Il apparaît très souvent en public vêtu d’un masque, ou d’un chapeau - parfois les deux.

Aujourd’hui, Freya comprend pourquoi. 

Les pommettes du président de l’IRAT semblent gonflées aux injections, et sa peau est tellement tirée qu’elle reflète le lustre de la pièce sur ses joues. “La lutte anti-âge a de beaux jours devant elle”, ricane intérieurement Freya. 

  • Quelle désolation, n’est-ce pas ? lance Nicolas.

Freya sursaute.

  • Pardon ? 

  • Le temps qui passe. Le temps, tout court, soupire Nicolas. Vous n’aimeriez pas figer le temps pour le vivre tel qu’il est, au lieu de courir après les richesses de ce bas monde ? 

Freya ne comprend pas ce qui est en train de se jouer devant ses yeux. 

  • Oui, sans doute. Mais ce n’est pas possible. 

  • Avez-vous peur de vieillir ? 

“Moins que toi, c’est sûr”.

  • Non. Vieillir est une chance. 

Nicolas Ostorm éclate de rire.

  • Ça se voit que vous êtes jeune, mademoiselle Celsina. 

  • Et vous, utopiste. 

Freya met sa main devant sa bouche juste après avoir laissé filer une énième pensée intrusive. Raté.

  • Ah oui, et en quoi ? s’étonne Nicolas.

“Bon, foutu pour foutu. Au pire, si j’ai pas le stage, Adam sera heureux. Voilà.”

  • Il est impossible de stopper le temps qui passe, tout comme il est impossible de stopper le vieillissement. 

  • Vous insultez le travail de ma vie.

  • Non. Je parle de vieillissement. Il est inévitable. Comme le temps qui passe. 

Nicolas Ostorm pousse un soupir. 

  • Savez-vous ce que signifie IRAT ? 

  • Institut de Recherche Anti-Âge, rétorque Freya du tac au tac.

  • Vous vous trompez. 

Freya fronce les sourcils. 

  • Si vous pensez qu’on investit des millions d’euros dans de la recherche anti-âge à destination de natives qui ne supportent pas de voir trois ridules sur leur front, vous vous trompez.

  • Euh…

  • Je répète : que signifie IRAT ? 

Freya ne s’était jamais interrogée sur la signification de cet illustre acronyme, surtout lorsque ce dernier est explicitement détaillé sur le site internet de l’institut. 

Les yeux de la jeune Navigante s’activent frénétiquement, comme s’ils cherchaient la réponse dans les recoins des synapses de la jumelle Celsina. Nicolas Ostorm ricane, encore, à la vue de cette réaction. 

  • Il me semble que vous êtes douée en improvisation, lance-t-il. 

“Qu’est-ce qu’il raconte ? Improvisation ? Ca date du lycée, ça, pendant les cours d’art oratoire. Je me souviens même plus du dernier suj…”

  • Transhumanisme, lâche Freya spontanément. 

Nicolas sourit de plus belle, donnant l’impression que ses pommettes vont exploser.

  • Bienvenue à l’IRAT, mademoiselle Celsina. Enfin, Freya.

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Chapitre 8 - Yang

Sixième. Sur près de 3600 étudiants. Adam n’en croit pas ses yeux. 

Et pourtant, c’est bien son nom qui est affiché parmi la liste des valeureux étudiants en première année d’études médicales - et qui décrochent, de fait, le précieux sésame nécessaire à l’entrée en deuxième année.

Une part d’Adam ne parvient pas à conscientiser cette réussite ; à vrai dire, le jeune homme pensait que la colonne “classement” était erronée, et correspondait en réalité au coefficient attribué par épreuve. Il n’en est évidemment rien.

Une autre part est assoiffée de réussite et regrette cette sixième place, loin du podium. “Franchement, j’aurais pu être premier, avec un peu plus de travail” pense le jeune prodige en devenir, avant de se ressaisir et de faire preuve de gratitude envers la vie, la création, et le Créateur.

Adam n’appartient à aucune religion en particulier, mais cela ne l’empêche pas de se parer d’une foi inébranlable en une entité innommée qui le protège, le guide et le maintient en vie chaque jour depuis plus de dix-huit ans. Il est intimement convaincu qu’un Créateur unique nous a tous façonnés, et que Lui Seul est au contrôle - il reçoit les bénédictions qu’il mérite.

Ismaël l’extirpe de ses pensées.

  • Incroyable, c’est incroyable, Adam ! s’écrie le jeune homme.

  • Al…Alors ? Tu passes aussi ?

  • YES ! Top 15 !

Les deux amis poussent un cri de joie conjoint avant de s’étreindre, heureux et soulagés qu’une si longue année de travail acharné se soit enfin écoulée. Les heures passées à la bibliothèque universitaire - gratuite et accessible - ont finalement payé pour ces deux brillants Navigants, qui partent tout de même avec un malus de -0.5 point - ce qui peut être décisif au vu du classement extrêmement serré cette année. 

Erica et Eden affichent une mine moins joviale. L’une bénéficiait d’un bonus Natif d’un point supplémentaire et l’autre, Navigant, a excellé toute l’année - sauf le jour le plus fatidique de sa vie. 

  • Bye la médecine, soupire Erica.

  • Arrête, tu peux faire une réclamation, ton père peut t’aider, la rassure Adam. 

  • Super, siffle-t-elle ironiquement. 

La jeune blonde souffle et se met immédiatement à composer le numéro de son père - la solution de facilité à toutes les difficultés, si rares soient-elles, qui peuvent croiser son chemin. Une solution qu’Eden ne peut pas envisager au vu de son statut de Navigant. Ses amis et camarades se contentent ainsi, en silence, de lui asséner un sourire de compassion. 

  • Ça y est, c’est pas grave, gromelle le jeune homme, c’est déjà bien d’avoir tenté ma chance. 

  • Tu sais, Freya est très bien à l’Echat… 

  • Adam, franchement, j’ai pas envie d’en parler maintenant, le coupe sèchement Eden. Je ne suis pas sûr de vouloir poursuivre mes études. 

Adam le regarde, les yeux écarquillés remplis d’incompréhension. “Comment, en tant que Navigant, peux-tu croire qu’il existe une autre issue que celle des études supérieures ?

  • Je verrai ce que la vie me réserve, continue Eden. 

Ensemble, les trois amis forment un cercle autour de leur cher camarade, au visage terni de déception. Malheureusement, personne ne peut rien pour lui. Il est né de la mauvaise face de la pièce. 

Il n’y a pas de deuxième chance pour les Navigants.

 ***

Adam ne parvient pas à contenir son stress. Après des mois de dur labeur et d’anxiété généralisée, le voilà prêt à enfiler sa blouse de stagiaire au sein d’un des meilleurs laboratoires spécialisés dans la recherche de lutte anti-âge. 

Le jeune homme n’a aucun appétit, lui qui était jadis capable d’engloutir l’équivalent de deux repas en un. Sportif de nature, il a toujours eu des besoins caloriques supérieurs à la moyenne. 

Sauf ce matin. Nausées et maux de tête valsent dans son organisme, perturbant son fonctionnement habituel. 

  • Mange, Adam. Tu dois tenir la journée, l’implore Victoria.

La mère du jeune prodige est aussi inquiète que lui mais tente - lamentablement - de l’occulter. 

  • Je n’ai pas faim. J’ai envie de vomir. 

Le visage - déjà très pâle - d’Adam a perdu un ton supplémentaire, jusqu’à le rendre complètement blafard. En l’espace de trente secondes, le jeune homme accourt vers les toilettes où il tente à multiples reprises de se libérer des nausées qui le parasitent, sans succès. A la place, des litres d’air s’échappent de son oesophage. 

Victoria déambule dans le minuscule WC familial d’à peine un mètre carré, aux murs aussi froids que la peau du jeune étudiant. Elle donne à son unique fils un sachet en kraft dans lequel elle lui ordonne de souffler afin de dégager tout le gaz carbonique contenu dans ses poumons. En une minute, Adam reprend ses esprits.

  • Merci, maman, ça…ça va mieux, soupire Adam, épuisé. 

  • Il faut te calmer, hein, qu’est-ce qui te prend ? Tu ne vas pas te rendre malade pour un stage, quand même ? 

Adam déglutit en baissant les yeux. “C’est exactement ce qu’il m’arrive. Je ne contrôle rien, je n’y peux rien. J’ai peur…”

  • Non, bien-sûr que non, se reprend Adam.

  • Ben alors ! On se ressaisit, et on avance ! Fissa !

  • Oui, merci maman. Pour le sac. 

Victoria sourit avant de quitter la pièce. L’heure tourne, et il ne faudrait pas que le jeune homme arrive en retard lors de son premier jour de stage. On n’a qu’une seule chance de faire une bonne première impression. Sans tarder, il se dirige vers la salle de bain - à peine éclairée - afin de se rincer rapidement le visage, de former une coiffure présentable et d’enfiler sa première tenue de stagiaire : une chemise bleu clair, qui appartient à son père - elle a d’ailleurs été cousue par Zinelli, qui était férue de couture - ainsi qu’un pantalon à pinces gris foncé. Pour les chaussures, il se contente d’une paire de baskets blanches. De toute manière, il n’en a pas d’autres. Ainsi vêtu, il se dirige rapidement vers son arrêt de bus qui le dépose en quarante cinq minutes au bâtiment principal de l’IRAT. 

“Waouh…” pense Adam. Le siège du laboratoire est situé rue Soufflot, laissant une vue imprenable sur le majestueux Panthéon, qui parvient à stupéfaire quiconque croise son regard. Ébahi par la beauté des lieux, Adam ne se laisse pourtant pas distraire et rejoint directement l’accueil de l’immeuble d’un blanc immaculé aux moulures impeccables. 

A l’intérieur, une trentaine d’autres stagiaires attendent avachis sur les innombrables canapés de velours qui habillent le hall d’entrée. Adam croit halluciner ; hommes comme femmes, ils sont tous vêtus de la même manière : une chemise blanche, un pantalon noir, et des mocassins en cuir brillant. Les femmes portent un béret rouge, les hommes un gris. C’est à se demander si le port d’un uniforme n’était pas un prérequis. 

  • Bonjour, madame, je m’appelle Adam Celsina, je suis stagiaire, lance timidement le prodige à l’hôtesse d’accueil. 

  • Bonjour jeune homme, votre carte NP s’il vous plaît. 

  • NP ? 

  • Navigant Professionnel, souffle la quinquagénaire. 

  • Je.. je ne l’ai pas reçue.

“Comment sait-elle ?”  se questionne Adam avant de ricaner face à la candeur de son interrogation - il est le seul à ne pas être habillé comme les autres.

  • Vous ne pouvez pas accéder au bâtiment sans cette carte, monsieur Celsina. 

  • Je… comment je fais…

Des gouttes de sueur perlent sur son front. 

  • Vous devez attendre de la recevoir. Normalement, ç’aurait dû être le cas. Êtes-vous certain d’être inscrit ici ? 

Le cœur d’Adam bat la chamade. “Evidemment, c’était trop beau pour être vrai. Comment le prestigieux IRAT aurait pu s’intéresser à un misérable Navigant de banlieue parisienne ?”

  • Oui. Adam Celsina. C-E-L-S-I-N-A. Je suis à Paris Cité. 

  • Je ne vous trouve pas, c’est bizarre. 

L’hôtesse blonde se saisit de son téléphone tout en mâchant de manière ostentatoire son chewing-gum à la fraise. Adam, quant à lui, est au bord du malaise. 

  • Madame Pechevert, bonjour, vous allez bien ? 

Un homme à peine plus âgé qu’Adam déboule en apostrophant l’hôtesse sans introduction. Cette dernière ne semble pas étonnée - au contraire, un immense sourire se dessine sur son visage.

  • Oh, bonjour Baptiste, comment allez-vous ? Et votre père ? 

  • Très bien, je vous remercie. Y a-t-il un problème avec cet élève ? Nous devons lancer la visite des lieux.

Adam ne saisit rien de la situation. A vrai dire, il n’a pas l’énergie pour. 

  • C’est visiblement un Navigant qui tente de se faire passer pour un stagiaire ici, grogne-t-elle. 

  • Vous vous appelez comment ? s’adresse le grand brun à Adam. 

  • Adam Celsina. 

  • Celsina ? Ça ne me dit rien. Vous êtes à Paris Cité ? 

  • Oui. 

L’inconnu fronce les sourcils avant d’avoir un éclair de génie.

  • Madame Pechevert, essayez “Adam De Cecilia”

L’hôtesse s’exécute sans attendre. 

  • Jeune homme, vous êtes bien né le 3 décembre 2012, et vous résidez à Aguenon ? 

Adam pousse un soupir de soulagement avant de hocher la tête. 

  • Ah ah ! Je me disais que “De Cecilia” n’était pas un nom de Navigant. Vu que vous êtes le seul de cette promotion, je me suis rappelé de ce nom - qui n’est finalement pas le vôtre. Bienvenue, Adam Celsina ! 

  • M…Merci, monsieur, je crois savoir qui a modifié mon nom de famille…

“Satané chargé de scolarité. Il a vraiment francisé mon nom. J’y crois pas.”

  • Excusez-moi, monsieur, vous êtes ?

L’homme sourit. 

  • Je suis Baptiste Ostorm, ton parrain de stage. Ravi de faire ta connaissance !

Adam vient de voir son stage sauvé par le fils du directeur d’un des laboratoires les plus prestigieux du monde.

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Chapitre 7 - Yin

Le printemps est décidément la meilleure saison de l’année. En tout cas, c’est ce qu’en pense Freya. Les journées s’étendent petit à petit, permettant de grappiller quelques précieuses minutes supplémentaires de vitamine D jusqu’à la tombée de la nuit. Le temps est clément, doux et frais à la fois. Les arbres se parent à nouveau de leurs plus beaux ornements. Les sourires réapparaissent progressivement. Quelle meilleure période que celle-ci ? 

L’arrivée de la mi-saison rime avec les examens de fin d’année ainsi qu’à la terrible échéance qui a le pouvoir de pétrifier des milliers d’étudiants : le stage obligatoire en fin de première année. 

Pour les Natifs, cela n’est évidemment pas un sujet. Généralement, ce sont les entreprises elles-mêmes qui partent à la recherche de recrues naïves et assoiffées de réussite directement à l’Université. Bien qu’il s’agisse d’un stage obligatoire et non discriminant sur le principe, la réalité est toute autre. Les Navigants se contentent des miettes laissées par leurs collègues au “sang pur”, pendant que ces derniers inscrivent à leur palmarès un nouvel accomplissement prestigieux. 

Étrangement, Freya Celsina est plutôt sereine. Pourtant, elle cumule toutes les tares possibles qu’un étudiant puisse collectionner. Navigante dans un établissement public dans un domaine où l’entre-soi fait loi, ses chances d’obtenir un stage, et a fortiori, un stage intéressant, sont quasi nulles, si ce n’est impossible. Fort heureusement, la jeune femme est remplie de ténacité et ne prend pas “Non” comme un refus, mais plutôt comme une opportunité de négocier ; aussi houleuses les discussions peuvent-elles être.

  • Mademoiselle Celsina, je vous le répète, nous n’avons plus aucune place disponible jusqu’à janvier prochain ! soupire Mme Dayidi.

Madame Dayidi est l’une des nombreuses - inombrables - secrétaires médicales que Freya a contactées. 

  • Je ne vous crois pas ! Mon amie a appelée hier, et bizarrement, il y avait encore un poste de disponible pour elle !

Freya se pince les lèvres. Son mensonge fonctionnera-t-il cette fois ? 

  • Elle a appelé pour quel poste, mademoiselle Celsina ? 

  • Ben, assistante médicale, comme moi ! Tout pareil ! Vous pouvez m’expliquer ? 

  • Un instant. 

La quinquagénaire désactive son micro et enclenche la tonalité - insupportable - d’attente du cabinet. 

  • Tu vas voir, elle va me sortir un bobard pour justifier mon refus, grogne Freya.

  • C’est toi qui es en train de mentir, là, ricane son frère. 

  • Je ne mens pas, j’émets une situation hypothétique très probable, mais n’ayant pas existé, pour d’obtenir une réponse honnête et sincère à ma demande. 

  • Ouais bon tu inventes quoi. 

  • Vas-y toi t’as pas besoin de tout ça et tu te la ramènes. T’as même pas commencé à chercher que je sais que tu vas trouver avant moi, gromelle la jeune femme. 

  • C’est pas en mentant que tu vas trouver. 

  • T’en sais rien. Faut mentir aux menteurs. 

Freya lance un regard noir à son frère avant de soupirer d’exaspération. 

  • Mademoiselle Celsina ? Vous parlez à qui ? 

La jeune femme se teint de rouge. Adam, quant à lui, est au bord de l’esclaffage. 

  • Oh. J’ai dû oublier de couper mon micro… bredouille Freya. 

  • Oui, très certainement. Je vous confirme donc que nous n’avons pas de place pour vous. 

  • Je v…

La tonalité de bip retentit dans les oreilles de la jeune femme, marquant la clôture de cette désolante tentative. 

  • Bien fait, ça t’apprendra, ricane Adam.

La jeune femme se contente d’asséner à son cher frère un regard ébène avant de tapoter un énième numéro de téléphone sur l’écran de son smartphone. “Je sais pas pour qui il se prend celui-là, ça y est il étudie à Paris il en peut plus, vieux mec, va”. 

  • Arrête d’avoir le seum, ça te va pas, reprend Adam, comme s’il avait entendu les pensées de sa sœur. 

  • Ça me saoule, c’est pas contre toi… C’est juste que je sais que je vais galérer et me retrouver sans rien. Erica a déjà trouvé ou pas ? 

  • Euh…

Adam se gratte la tête. Erica a trouvé son stage avant même que les conventions n’aient été distribuées - son père l’a rapidement placée dans un des meilleurs centres hospitaliers de cancérologie de Paris. Cependant, Freya n’en sait absolument rien - et la jeune blonde a sommé Adam de ne rien dire à cette dernière, de peur d’éveiller des soupçons d’envie chez la jeune Navigante - qui se trouve être sa meilleure amie. 

  • Non, pas encore, enfin… elle a des pistes, évidemment, mais… rien de signé, encore…

  • Ok t’es en train de me mentir. Elle a été prise où ? 

  • Nulle part, gromelle Adam.

  • Déclare. 

  • Bon, ok, elle a été prise à l’Institut Curie. 

Le visage de Freya pâlit de jalousie. “Quoi ? Depuis quand elle s’intéresse à l’oncologie, celle-là ? Et elle a vraiment cru qu’Adam me le cacherait ? J’en reviens pas.”

  • Ok, tant mieux pour elle, rétorque-t-elle sèchement. 

  • Tu ne sais rien, Freya, s’il te plait ? 

  • Non, je ne dirai rien. J’attends.

Il est difficile d’admettre éprouver de l’envie envers quelqu’un de son entourage, encore plus lorsqu’il s’agit de sa meilleure amie d’enfance à qui tout réussit depuis le plus jeune âge. 

“Bravo pour ton stage, Erica. J’espère que tu sauras faire preuve de transparence envers les patients que tu auras à gérer. Je sais que c’est difficile pour toi, mais avec un peu d’efforts, tu y parviendras”. 

La jeune femme se pince les lèvres. Finalement, son pouce se contentera seulement de frôler la touche “envoyer” de son téléphone, non pas par peur de représailles envers son frère, mais pour éviter de briser la confiance que sa meilleure amie a envers lui. Peut-être qu’elle pourra continuer à en extirper quelques informations. 

  • Je sais que je vais trouver, souffle Freya. 

  • Mais oui, t’en fais pas, il y a de la place pour tout le monde, tente de la rassurer son frère.

  • Non, pas pour moi - mais je vais me la créer, coûte que coûte. 

Sans attendre, Freya se saisit non pas de son téléphone portable, mais de l’ordinateur familial presque scotché à la table à manger du salon. Aux grands maux, les grands moyens, pense-t-elle. 

  • Papa, tu peux me faire une lettre de recommandation ? 

Abel écarquille un sourcil. Il n’avait plus entendu cette phrase depuis des années. 

  • Euh… Pour quoi faire, ma fille ? 

  • Pour mon stage. Tu étais haut gradé, ça vaut quelque chose.

  • Oui, mais ma chérie, ce n’est plus le…

  • Je m’en fous, la coupe Freya. Ce sera une lettre anonymisée, s’il le faut. 

Le père de famille regarde sa fille avec un air confus. Quelle utilité que de rédiger une lettre de recommandation anonyme dans une société où le patronyme pèse plus que toute autre chose ? 

  • J…je vais te la faire, bien-sûr. 

Freya remet à son père l’ordinateur portable prêt à l’emploi. Elle ignore si cela lui sera bénéfique dans ses recherches, mais elle n’a rien à perdre. 

  • Merci papa. 

Les deux Celsina échangent un sourire chaleureux avant de vaquer chacun à leurs occupations, lorsque la sonnerie du téléphone d’Adam se mit à résonner dans tout l’appartement. Il ne fallut que quelques secondes aux membres de la famille pour comprendre qu’il s’agissait - encore une fois - d’une bonne nouvelle pour le jeune prodige. Les Navigants reçoivent très peu d’appels. 

  • Bon, Adam ne va pas t’en demander une, je pense, soupire Freya. 

  • Sois heureuse pour ton frère. Sa victoire, c’est ta victoire aussi. 

Freya lève les yeux au ciel et s’empresse d’enfiler baskets et gilet avant de se diriger vers la porte d’entrée. Il est bientôt seize heures et son shift va bientôt commencer. 

  • Papa, c’était un laboratoire de recherche ! Ils veulent me rencontrer tout à l’heure, s’écrie Adam. 

  • Dieu merci, soupire Abel. Lequel ? Il est connu ? 

Freya reste un instant dans l'entrebâillement de la porte pour tendre l’oreille.

  • Il n’est pas très connu, c’est l’IRAT… I-R-A-T… Institut de Recherche Anti Age… Ce n’est pas ce que j’avais en tête, mais pourquoi pas ! C’est rémunéré ! 

La jeune Navigante claque la porte derrière elle. En un éclair, elle ressort son smartphone, recherche “IRAT Paris” et tombe directement sur le site dudit laboratoire. Situés à Paris, près du Panthéon, ils se focalisent sur la recherche en cosmétiques anti-âge “Pfff, tu m’étonnes qu’ils l’aient appelé, qui veut faire ça, sérieusement ?” ricane-t-elle en son for intérieur. Puis son rire interne s’estompe peu à peu en découvrant les modalités offertes aux stagiaires, notamment aux étudiants de Paris-Cité : 

“PROGRAMME ACCÉLÉRATEUR DE CARRIÈRE

  1. Stage d’initiation de 3 mois destiné aux étudiants en sciences médicales : Paris, Londres, ou Madrid. 

  2. Stage de césure de 6 mois l’année suivante pour les étudiants éligibles (voir conditions ci-dessous) : Paris, Londres, ou Madrid. 

  3. Stage de fin d’études à l’issue du parcours universitaire de l’étudiant, selon la branche choisie à l’Université. Ce stage garantit une embauche à l’issue du parcours universitaire de l’étudiant. 

Les étudiants retenus bénéficient : 

  • D’une carte Navigant Professionnel, donnant accès à de nombreux avantages 

  • De points bonus accordés chaque semestre, permettant la validation de crédits ECTS professionnalisants

  • D’un revenu mensuel dès le premier stage

  • D’une prise en charge totale des frais de déplacement et d’installation en cas de relocalisation

  • De l’exonération des frais de scolarité l’année suivant le stage, dans le cadre des stages longs

Seuls les étudiants Navigants des Universités Paris-Cité, Paris-Panthéon et Paris-Grenelle sont éligibles. Exception faite aux étudiants Natifs d’autres Universités.”

La jeune femme prend une claque. Adam ne sera pas simplement une énième ressource de laboratoire accumulant les tâches répétitives sans intérêt, mais bel et bien un étudiant Navigant traité comme un Natif, à l’avenir radieux et sécurisé. 

“S’il l’a eu, alors moi aussi je l’aurai. Sa victoire est ma victoire. Papa ne ment jamais.

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Hania Ouachek Hania Ouachek

Chapitre 6 - Empreinte

Paris, Octobre 2029

Jamais Freya Celsina ne s’est sentie aussi bien. 

Entourée de ses semblables Navigants à l’esprit vif et agile, bourrés d’espoir pour le futur, la jeune femme de maintenant dix-sept ans baigne dans un environnement familier, rassurant et débordant d’ambitions, la permettant de voguer, contre vents et marées, vers ses rêves les plus fous. 

Pourtant, ce n’était pas gagné. L’Université de l’Echat souffre d’une injuste réputation pour le simple fait d’y accueillir des étudiants Navigants en grande majorité. Les Celsina y étaient eux-mêmes réticents. Quelle drôle d'auto-flagellation que de mépriser les environnements favorables aux populations qui nous ressemblent. L’entre-soi n’est critiqué que lorsqu’il concerne ceux qu’on refuse de voir - sinon, nous parlerons d’excellence, de prestige et d’élitisme. Bien que la société française parvient peu à peu à se libérer du joug atroce de son penchant vorace pour la discrimination structuelle, certains relents inconscients de cette dernière persiste, vicieusement, même dans les esprits des premiers concernés. 

D’ailleurs, l’accueil de la nouvelle s’est fait ressentir de toute autre manière au sein du foyer d’Aguenon. Les larmes et exclamations de joie d’Abel et Victoria lors de l’admission d’Adam à Paris-Cité se sont travestis en une mine défaite et un sourire difficilement sincère lorsque Freya, pétrie de déception, annonça à ses parents qu’elle rejoindrait les bancs de l’Université publique. Fort heureusement - et par je ne sais quel miracle - la jeune Navigante ne s’est pas laissée démordre, bien au contraire. L’adversité la forge plus qu’elle ne l’écrase, constituant ainsi une source motrice principale à l’accomplissement de ses objectifs. 

En revanche, il est bien plus ardu pour un requin de nager dans de l’eau douce sans en perdre son aileron. Le jeune prodige fraîchement intégré aux rangs de l’Université Paris Cité ne parvient à prendre ses marques. Bien que la politique de l’établissement se veut inclusive, bienveillante et vectrice de justice sociale, il n’en est rien dans les faits. A vrai dire, l’intégration des jeunes étudiants Navigants au sein d’Universités historiquement natives est un phénomène relativement récent - voire prématuré - pour le commun des mortels. Lors de sa journée de pré-rentrée, Adam a eu l’immense joie de goûter aux plaisirs des relents racistes et discriminatoires de la part de la direction, et ce dès l’aube : 

  • Cel…Celsina Adam ? s’exclame Monsieur Venon.

  • Oui, présent.

  • Hum, ronchonne le Directeur de la Scolarité, pas évident évident à prononcer, votre nom. 

Adam affiche une mine d’incompréhension. 

  • C’est-à-dire ? 

  • Ben, ça se francise ! Adam Celsina, quel drôle de nom, tout de même ! 

L’assemblée étouffe un rire approbateur des propos borderline du sexagénaire au crâne autant dégarni que son intellect. Adam déglutit en silence, teinté de honte du fait d’un patronyme qu’il n’a pas choisi - mais dont il est extrêmement fier. 

En ce sens, il reste difficile d’être un Celsina dans un tel environnement. Fort heureusement, le jeune homme ne se retrouve pas totalement seul. Il peut compter entre autres sur la présence d’Erica, la meilleure amie de sa sœur, ainsi que d’Ismaël et Eden, qui le ne quittent jamais. Eux aussi proviennent d’environnements navigants ou semi navigants et connaissent plus que bien les défis auxquels une telle filiation se heurte. 

  • C’était pareil pour ma sœur, t’inquiète, le rassure Ismaël

  • Ah oui ?

  • Non, en réalité, c’était bien pire, ricane le jeune homme. Elle n’était même pas censée être là. Ça a été très difficile pour elle au début, puis elle en a fait sa force. Maintenant, regarde où elle est ! Elle a marqué l’histoire de son empreinte. 

Les yeux profonds d’Ismaël se teintent automatiquement d’une lueur de fierté mêlée à une profonde admiration. Il est vrai que le parcours de Tessa Desanya relève de l’exploit. 

  • Merci frère, tu as toujours les bons mots, sourit Adam. Je vais essayer d’en faire ma force aussi, même si… j’ignore totalement comment. 

Éden et Ismaël sourient simultanément. Tous deux savent qu’Adam éprouve des difficultés à modéliser des pensées abstraites pseudo-philosophiques en une réalité très concrète et ce, malgré son brillant esprit. 

  • C’est simple. Là, le vieux t’a donné l’opportunité de prouver que tu vaux mieux que ça. 

  • Je n’ai absolument rien à prouver à personne. 

  • À toi-même. 

  • Ah. 

Adam se pince les lèvres. 

  • Je sais ce que je vaux. 

  • Vraiment ? rétorque Éden en haussant son sourcil droit. 

  • Bon… plus ou moins. 

  • Ah! s’exclament simultanément les deux jeunes hommes, tu vois ! Tu n’as pas le droit de douter de toi-même. Même si toute la Terre te dit que tu es dans le faux, que t’es un raté et que tout ce que tu entreprends tombe à l’eau : tu dois rester solide sur tes appuis et tous les envoyer paître, ajoute Ismaël. 

  • Tu n’as pas le droit de te laisser tomber, mec, surenchérit Éden. 

  • Shhhhhhhht! Les bavardages, c’est à la fin du cours ! interrompt Monsieur Venon. 

Adam se contente de sourire sincèrement à ses deux comparses qui savent parfaitement comment requinquer son moral. Autrefois, c’était le rôle de Freya, son double, sa copie conforme. En un regard, ils parvenaient à se comprendre - loin de leurs repères mutuels, la vie leur paraît bien plus âpre, bien plus ardue. Pourtant, ils vont devoir composer et faire avec, en unissant, enrichis de leurs propres expériences et observations individuelles, leurs forces afin de se frayer un chemin dans cette nouvelle ère qui leur réserve bien des turbulences : 

L’âge adulte. 

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